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La nouvelle Héloïse
L’œuvre présentée ci-après est une édition de La nouvelle Héloïse réalisée en 1764, à Neuchâtel et à Paris, par l’éditeur Duchesne et annotée, sans doute à Neuchâtel, de la main de Jean-Jacques Rousseau. Cette édition est assez différente de la première édition de La nouvelle Héloïse qui paraît en 1761 à Amsterdam (Edition Rey). Apparemment, Rousseau n’a pas participé à l’établissement du texte mais il a pris connaissance du livre imprimé chez l’un de ses amis, le genevois François Coindet (1734-1809), et, ce texte ne lui convenant pas, il y a apporté un certain nombre de corrections. A l’issue de ces corrections, le texte de la toute première édition se trouve rétabli, à l’exception de la seconde préface qui n’était pas présente dans l’édition de 1761. Ce phénomène n’est pas du tout étonnant ; à l’époque, lorsqu’un titre marchait bien - et c’était le cas de La nouvelle Héloïse - il pouvait y avoir de multiples éditions d’une même œuvre avec des versions parfois différentes d’un pays à l’autre et d’une année à l’autre, certaines versions étant « pirates », c'est-à-dire non revues et non approuvées par l’auteur. C’est ce qui se passe ici. Rousseau n’a pas pris part à ce texte mais, comme il est tombé sur l’imprimé par hasard, il en corrige les erreurs, presque à chaque page. A la mort de François Coindet en 1809, son petit-neveu, le docteur Charles Coindet (1796-1876), hérita de plusieurs manuscrits et lettres de Rousseau. En effet, lorsqu’il quitte Neuchâtel en 1765, Rousseau avait chargé François Coindet (ainsi que d’autres) de conserver ses papiers et le cas échéant de surveiller les éditions de ses oeuvres en Suisse. François Coindet disposait donc de beaucoup de documents originaux de Rousseau. Avec ces manuscrits, le docteur Charles Coindet hérita aussi de cette édition annotée de La nouvelle Héloïse. Il donna ces livres au marquis Hippolyte de Château-Giron qui était un bibliophile réputé. C’est ainsi que sur un feuillet de garde, au début du premier volume de l’édition devenue Duchesne-Coindet, on peut lire la mention manuscrite suivante : « Toutes les notes et corrections sont de la main de Jean-Jacques Rousseau. Cet exemplaire m’a été donné par M. Coindet, de Genève, neveu de l’ami de Jean-Jacques ». Cette mention est accompagnée de la signature du bibliophile : H. de Château-Giron. Enfin, trois des quatre tomes de cette édition (il manque le tome II et donc la deuxième partie ainsi que le début de la troisième partie de l’œuvre) ont été acquis par la Bibliothèque de l’Assemblée nationale en avril 1827, au cours de la vente d’une partie des livres du marquis Hippolyte de Château-Giron. Le bibliothécaire de l’Assemblée, à l’époque, était Pierre-Paul Druon qui a été en poste à la Bibliothèque de 1805 à 1833. Comme on l’a dit, par ses ajouts et ses corrections, Rousseau rétablit le texte de la toute première édition, l’édition Rey (Amsterdam) de 1761, à l’exception de la seconde préface qui n’était naturellement pas présente dans l’editio princeps. Si l’on compare l’édition Duchesne-Coindet avec les trois versions alternatives de La nouvelle Héloïse déjà numérisées et présentées par la Bibliothèque de l’Assemblée nationale (le Brouillon, la Copie personnelle et la Copie autographe pour la Maréchale de Luxembourg), on est frappé de voir que cette édition est considérablement augmentée. Les ajouts se présentent de la manière suivante : - On note la présence d’un feuillet frontispice comportant deux gravures, la première représentant Jean-Jacques Rousseau et la seconde, attribuée à Charles-Nicolas Cochin le jeune (1715-1790) et gravée par Joseph de Longueil (1730-1792), représentant l’auteur sous les traits d’un peintre « animé par le feu du génie et par celui de l’amour ». - On observe également la présence d’un avis du libraire, présenté recto verso, mais entièrement barré et comportant une note manuscrite de Rousseau : « J’ai effacé précipitamment les tables des deux premiers volumes. Cependant, ces tables peuvent être bonnes à conserver avec les sommaires des Lettres pour y trouver au besoin ce qu’on cherche. Mais il faut avoir soin de faire recommencer les nombres des lettres à chaque Partie et de changer la cote des pages sur cette Edition. » - S’ajoute également le texte d’une première préface. - Et celui d’une seconde préface (qui n’était pas présente dans l’édition originale de 1761), précédée d’un avertissement. - On peut voir désormais figurer une table de lettres et matières. La table du tome I a été entièrement barrée par Rousseau, lequel, pris de remords, insère, au début du volume, la mention manuscrite signalée précédemment. Sur les tables des tomes III et IV, l’auteur, par ailleurs, explique les séparations des parties et corrige la numérotation des lettres. - On note la présence d’un appendice intitulé « Sujets d’estampes », décrivant les douze gravures de Gravelot dont les originaux figurent dans la Copie pour la Maréchale de Luxembourg. Cependant, la douzième estampe est différente de la gravure originale. Elle représente Julie se jetant dans un lac avec la légende suivante : « L’amour maternel ». En fait, on sait que Rousseau jugeait cette estampe « froide et ridicule ». Mais il se fait violence, ici, en maintenant le texte correspondant à la description de cette gravure, un texte qui, clairement, n’est pas de sa main. - On note également la présence d’une « Prédiction faite sur l’auteur de la Nouvelle Héloïse par un anonyme ». Il s’agit en fait de la « Contre-Prédiction au sujet de la Nouvelle Héloïse », une défense écrite par Charles-Joseph Panckoucke, un juriste, éditeur et libraire, admirateur de Rousseau, qui publie ce texte, en juin 1761, dans le Journal encyclopédique, et qui s’oppose dans son libelle à la « Prédiction tirée d’un vieux manuscrit » - une critique véhémente de Rousseau et de son roman, rédigée par Charles Borde et parue dans le même journal, en mai 1761. - On note enfin l’adjonction de quatre pages correspondant à l’« approbation » et au « privilège du Roi », un imprimatur enregistré par la Chambre royale et syndicale des Libraires et Imprimeurs de Paris. - Rousseau, semble-t-il, ajoute au texte deux notes qui ne figuraient ni dans les premiers brouillons, ni dans l’édition originale de 1761. Malheureusement, ces notes, figurant dans le tome II qui a disparu au moment de la vente de la bibliothèque du marquis de Château-Giron en 1827, ne sont pas disponibles. On lit en effet, en tête du premier volume, l’annotation suivante écrite de la main de Rousseau : « Cette édition est pleine de fautes, et je ne doute point que celui qui a revu cet exemplaire n’en ait laissé beaucoup ; c’est pourquoi je voudrais qu’on le conférât avec la première édition qui est la meilleure. Mais il y a dans cet exemplaire une note considérable ajoutée dans le second volume et une autre addition qu’il ne faut pas omettre. » - Enfin, les citations italiennes qui, jusqu’alors, n’étaient pas traduites, ont fait l’objet, dans cette édition, de la main de Rousseau, d’une traduction en français.
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