La Copie pour la Maréchale de Luxembourg
Après la période passée à l’Ermitage (1756-1757) pendant laquelle Jean-Jacques Rousseau est l’invité de Mme d’Epinay - mais où il s’éprend de Mme d’Houdetot, sa belle sœur, ce qui indispose vivement son hôtesse qui le taxe d’ingratitude et le congédie, peut-être à l’instigation de Grimm - le philosophe va s’établir à Montmorency. A Montmorency, et pendant toute la période qui s’étend de 1758 à 1762, Rousseau est accueilli par la Maréchale de Luxembourg. Pendant un peu plus de quatre ans, Rousseau y connaît une phase de calme relatif. En 1758, il publie La lettre à d’Alembert ; en 1761, La nouvelle Héloïse ; en 1762, le Contrat social et l’Emile. Malheureusement, la Profession de foi du vicaire savoyard, qui est une partie du livre IV de l’Emile, irrite le Parlement. Il décrète la contrainte par corps, si bien que le philosophe se hâte de passer en Suisse. La Copie pour la Maréchale de Luxembourg date de cette époque tout à fait privilégiée pour Rousseau, avant qu’il ne reprenne sa vie de voyages ou d’errances, et a dû être réalisée en 1760. Cette œuvre, qui est présentée ci-après, n’est pas à proprement parler un nouveau brouillon de La nouvelle Héloïse, même si le texte est encore légèrement différent de la version définitive. C’est une copie autographe destinée à honorer sa bienfaitrice. Il s’agit là, somme toute, d’un genre littéraire nouveau. Plutôt que de faire une dédicace, comme on ferait couramment aujourd’hui, l’auteur recopie un texte complet - en six volumes – pour manifester une reconnaissance particulière à une personne spécialement chère. Rousseau fera d’ailleurs également une copie de La nouvelle Héloïse à sa bien-aimée, Mme d’Houdetot, sachant, pour la petite histoire, que cette dernière copie, commencée dès 1758, avant celle pour la Maréchale, sera accueillie plutôt froidement. (Cf. Lettre de Saint Lambert à Rousseau du 23 juin 1758 : « Mademoiselle d’Houdetot a 351 pages de Julie et elle me charge de vous envoyer deux Louis qui font à peu près le paiement de vos copies ; elle vous renouvelle ses remerciements »). Au-delà des copies, il peut y avoir des problèmes passionnels… Primitivement, la Copie à la Maréchale de Luxembourg avait été enrichie, selon les dires mêmes de Rousseau, d’une « petite addition qui ne sera pas dans l’imprimé » (Cf. Lettre de Rousseau à Mme de Luxembourg, circ. 18 mai 1760). C’étaient Les amours de Milord Edouard Bomston. Toutefois, le manuscrit de ce document n’a jamais été retrouvé. Par ailleurs, la copie autographe a été ornée de douze dessins originaux exécutés à la plume et rehaussés de bistre par le peintre Hubert François Bourguignon, dit Gravelot (1699-1773). Celui-ci, qui s’inspire de Watteau, a été guidé dans la réalisation de ses vignettes par Rousseau lui-même. On retrouvera ces dessins dans l’édition originale de l’œuvre (édition originale d’Amsterdam, chez Michel Rey, 1761). Comme beaucoup de manuscrits de Rousseau, celui-ci fut saisi le 25 messidor an II (13 juillet 1794) par la Commission temporaire des Arts, un organe qui relevait de la Convention et était analogue à ce que l’on appellerait aujourd’hui une Commission parlementaire. Il se trouvait alors au domicile de la Comtesse de Boufflers, amie de la Maréchale de Luxembourg qui avait émigré. Le manuscrit fut ensuite versé à la Bibliothèque du Corps législatif en 1799. En conclusion, on présentera quelques remarques sur la forme affectée par le manuscrit : - Tout d’abord, son apparence générale est très soignée et est très différente des brouillons antérieurs ; l’écriture est très lisible ; il n’y a aucune rature, aucun rajout dans les marges, aucun collage. On constate quelques traces de gommage (pour remplacer un mot par un autre) et parfois la présence de quelques séquences de mots ou de quelques phrases qui ont été soulignées. - Chaque volume comporte deux illustrations exécutées par Gravelot et assorties d’une légende. - On remarque une erreur de numérotation dans les lettres, dans les tomes 1 et 6. - Les lettres sont parfois complétées de « fragments » et de « billets » non numérotés. - Le texte manuscrit de chaque page se trouve inséré dans un cadre « fait main » dont le tracé consiste, parfois, en un fin liseré de couleur rouge et, le plus souvent, en un trait épais de couleur marron. - Des lignes sont tracées au crayon de papier pour faciliter la rédaction du titre de la lettre, ainsi que l’inscription de son numéro et le départ des premiers mots composant sa première ligne manuscrite. - En terme de ponctuation, certaines lettres, par exemple au moment d’une fin de section, sont entrecoupées d’un parterre en forme de trèfle à quatre feuilles et dessiné à la plume. - Par souci d’esthétique, le texte est remarquablement bien aligné à l’intérieur du cadre tracé ; pour ne laisser subsister aucun espace avant la limite du cadre, à la fin d’une ligne, Rousseau peut être conduit, le cas échéant, à terminer cette dernière par un joli trait de plume ondulé. - Enfin, quelques astérisques renvoient à des précisions ou à des notes de l’auteur en bas de page.
Consulter le volume I Illustrations de Gravelot(Cliquer sur une légende pour consulter l'illustration correspondante)
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