Rousseau juge de Jean-Jacques, Dialogues.
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Dans cette œuvre achevée en 1776, Rousseau s’efforce de se représenter face à ses contemporains et à la postérité de la façon la plus sincère possible. Il met en scène un personnage nommé Rousseau qui s’entretient avec un « Français », au sujet de « J.J. », personnage absent. Le Français incarne un juge, Rousseau un avocat. A travers cet ouvrage, l’auteur revient sur la totalité de son œuvre et revendique notamment la paternité des écrits sur lesquels des doutes ont été émis.
Les quatre copies autographes répertoriées, présentées ci-après dans l’ordre chronologique de leur écriture, comportent assez peu de variantes. Rousseau l’explique d’ailleurs dans l’avertissement destiné « Au lecteur » figurant en tête du manuscrit conservé à l’Assemblée nationale : « Voyant l’excessive longueur de ces dialogues j’ai tenté plusieurs fois de les élaguer, d’en ôter les différentes répétitions, d’y mettre un peu d’ordre et de suite ; jamais je n’ai pu soutenir ce nouveau tourment. […] faute de pouvoir faire mieux, je me borne à transcrire ces informes essais que je suis hors d’état de corriger ». L’existence d’une cinquième version manuscrite de l’œuvre demeure hypothétique.
- La première copie autographe, conservée par la BnF, a connu un destin original. Rousseau le relate dans un court texte à la fin des Dialogues, intitulé Histoire du précédent écrit. Soucieux de protéger son œuvre de ses « persécuteurs », il décide de la confier à « la Providence », « de remettre à elle seule l’entière disposition du dépôt [qu’il désirait] laisser entre de sûres mains ». Il tente alors, en 1776, de déposer le manuscrit à Notre-Dame de Paris, mais le chœur étant fermé, Rousseau est contraint d’abandonner son idée. C’est alors qu’il se tourne vers l’abbé de Condillac, homme de lettres qu’il admire et à qui il pense pouvoir se fier. Il lui confie donc ses précieux écrits, avec ordre « que le manuscrit ne fut point imprimé avant la fin du siècle présent ». Ce vœu sera bien respecté, puisque la nièce de Condillac conserva le texte jusqu’en 1800 qui fut déposé à l’hospice de Beaugency. Il passa successivement dans deux collections privées avant d’entrer à la BnF, par dation, en 1996.
- Une deuxième version (incomplète) de l’oeuvre est remise à un jeune anglais, Brooke Boothby, que Rousseau rencontre alors qu’il s’affaire à cette copie. Voyant en Boothby « le dépositaire que la Providence [lui] a choisi », il lui confie le premier Dialogue, pensant lui remettre la suite plus tard. Rousseau change finalement d’avis, perdant sa confiance en Boothby. Ce dernier tint néanmoins parole et ce manuscrit fut publié en 1780, après la mort de Rousseau. Cette version appartient depuis 1781 à la British Library.
- Rousseau fait ensuite don à son ami Paul Moultou d’une troisième copie qui servira à l’édition publiée en 1782, préparée par René de Girardin, Du Peyrou et lui-même. Dans cette édition, Moultou a supprimé treize passages ou notes des deux derniers Dialogues, non seulement car il les jugeait trop violents mais aussi car il estimait qu’ils mettaient en cause des corps collectifs ou des personnalités. « Ces dialogues feraient beaucoup de peine aux gens de lettres qu’il faut ménager », écrit-il dans une lettre du 9 décembre 1779 à René de Girardin. Le texte sera édité après la publication de la copie de Broothby.
Ce manuscrit fut donné en 1835 à la bibliothèque publique et universitaire de Genève par la petite-fille de Moultou.
- Le manuscrit détenu par la bibliothèque de l’Assemblée Nationale est donc la quatrième version. Celui-ci porte sur la reliure une note précisant le nom de ses anciens propriétaires : « Ce manuscrit a été donné par l’auteur à une dame de la famille de Cramayel qui le donna elle-même à M. de Clerigny ancien administrateur des Domaines de la Couronne. Celui-ci le donna à M. de la Chapelle ; il est ensuite passé à M. de Flobert ».
On sait en outre que Rousseau avait confié une copie des Dialogues au comte d’Angevillers, l’un de ses correspondants. Dans son Etat des écrits posthumes de Jean-Jacques Rousseau adressé à Du Peyrou, le marquis de Girardin a noté qu’une partie des Dialogues se trouvait « entre les mains du comte d’Angevillers qui sur ma réclamation est convenu de le remettre à la veuve, en observant toutefois qu’il ne connaît pas nature à être imprimé ».
A l’occasion de recherches récentes, le professeur Philip Stewart, vient de montrer les liens familiaux et personnels qui liaient cette « dame de la famille Cramayel » au comte d’Angivillers. C’est donc bien de ce même manuscrit qu’il s’agit.
Le manuscrit présenté ici a été acquis par la bibliothèque de la Chambre des députés en 1812, administrée alors par Druon. En très bon état, il compte 225 feuillets numérotés par l’auteur et reliés en maroquin rouge. Quelques particularités méritent d’être mentionnées :
- l’écriture est extrêmement soignée, et le texte est remarquablement bien aligné à l’intérieur d’un fin liseré de couleur rouge tracé à la main. Il comporte peu de corrections, sauf page 221, où trente et une lignes ont été soigneusement raturées par l’auteur ;
- en tête de la première page, on peut lire une recommandation de l’auteur qui ne figure pas dans toutes les versions : « Si j’osais faire quelque prière à ceux entre les mains de qui tombera cet écrit, ce serait de vouloir bien le lire tout entier avant que d’en disposer et même avant que d’en parler à personne ; mais très sûr d’avance que cette grâce ne me sera pas accordée, je me tais et remets tout à la Providence » ;
- trois paperoles, en très bon état, sont insérées, pages 16, 42 et 205 ;
- entre les pages 200 et 201, on remarquera la trace d’une coupure nette de page, qui n’a pas affecté la pagination.
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